La dématérialisation qu’offre Internet est séduisante, notamment du point de vue écologique. Elle permet en effet de réduire la consommation de papier, mais aussi de diminuer les transports d’objet et de personne. Mais l’utilisation d’Internet a un coût énergétique non négligeable, et qui nous est pourtant pratiquement invisible dans la vie quotidienne. Quel est ce coût, d’où vient-il, et comment le limiter ?
Un réseau complexe
Internet correspond à un immense réseau de réseaux, qu’ils soient publics ou privés. L’information est transmise grâce à des protocoles standardisés, et permet l’échange de courrier électronique, de messages instantanés, de fichiers, et permet la navigation sur le Web. L’idée a germé dans les années 1960, puis s’est développée à partir des années 1970. La création du Web date du début des années 1990, et l’utilisation d’Internet a par la suite explosé. A partir de 2010, certains s’intéressèrent de plus près à la consommation énergétique et à l’impact environnemental d’Internet. En 2012, Greenpeace publie un rapport intitulé How clean is your cloud dénonçant la consommation massive d’électricité par les entreprises liées à Internet. Déjà, pour l’année 2007, cette consommation était de 623 TWh au niveau mondial, juste en dessous des 4 pays les plus consommateurs en énergie (Etats-Unis, Chine, Russie, Japon). Et ces chiffres continuent toujours d’augmenter.
Lorsque nous échangeons des informations sur Internet, celles-ci passent par un système complexe qui peut être divisé en trois parties principales :
- Les centres de données, où l’information est stockée.
- Les réseaux, par lesquels l’information transite, entre les centres de données ou vers les utilisateurs.
- Les machines utilisateurs, où nous utilisons cette information (téléphone, ordinateur, tablette…).
Pour le dernier point, il est relativement facile d’estimer sa consommation en consultant les caractéristiques de ses propres appareils (voir plus bas). Au niveau des centres de données et les réseaux, il est plus difficile de connaître son impact. J’ai voulu ici obtenir les énergies dépensées par quantité de donnée, soit stockée (pour les centres de données), soit échangée (pour les réseaux). En estimant sa consommation en termes de données, on peut ainsi revenir à sa consommation énergétique.
Les centres de données
Il s’agit de l’assemblage d’un très grand nombre de serveurs sur lesquels une quantité importante d’information peut être stockée. Pour certaines entreprises, les mêmes informations sont répliquées à plusieurs endroits, afin de minimiser les pertes de données ainsi que les distances entre l’utilisateur et les données. Les centres de données consomment beaucoup d’électricité car ils fonctionnent en continue. En plus de cette consommation électrique, les centres de données utilisent une grande quantité d’eau dans le but de refroidir les machines qui chauffent beaucoup lors de leur fonctionnement.
En 2012, Greenpeace donne l’alerte sur l’usage de centrales à charbon, très polluantes car rejetant beaucoup de gaz à effet de serre, pour fournir en électricité les centres de données. En particulier, plusieurs grandes entreprises (Apple, Google, Amazon, Facebook, …) s’étaient installées à proximité des mines de charbon de l’état de Virginie aux Etats-Unis. Ces mines à ciel ouvert ont complètement dévasté une partie des montagnes Appalaches, comme on peut le voir dans le documentaire Internet, la pollution cachée, diffusé par France Télévisions en 2014. Ces entreprises ont alors annoncé leur souhait d’optimiser, voire de réduire leur consommation, ceci dans le but de limiter leurs dépenses et d’améliorer leur image. Elles sont également devenues plus transparentes sur leur consommation électrique, mais aussi en eau, et sur l’émission des gaz à effet de serre. Beaucoup publient depuis chaque année un rapport à ce propos (souvent appelé sustainability report) où sont reportés leurs objectifs et leur consommation.
A partir des données publiées par les différentes entreprises d’Internet, Greenpeace établit une nouvelle étude en 2017, Clicking clean, qui présente une note environnementale par entreprise. Les critères d’évaluation sont leur transparence, leur volonté affichée d’évoluer vers des énergies renouvelables, et leur effective migration vers ces énergies renouvelables. Par exemple, Google, Apple et Facebook sont présentés comme de bons élèves, qui sont aujourd’hui passés à une consommation d’énergie provenant pratiquement à 100% d’énergie renouvelables (ou en tous cas ils compensent la consommation en électricité de certains sites par une production d’énergie renouvelable ailleurs). Au contraire, le groupe Amazon reste sur une énergie produite par le charbon, notamment dans l’état américain de Virginie. Greenpeace dénonce au passage les raccourcis utilisés par certaines entreprises pour améliorer en apparence leurs performances énergétique et environnementale, comme les différentes définitions d’énergie propre (qui inclut le nucléaire et le gaz naturel pour certain), l’achat de crédit carbone ou d’énergie renouvelable (renewable energy certificates en anglais). Mais dans l’ensemble, Greenpeace ne semple pas critiquer l’énorme consommation d’énergie d’Internet, tant qu’elle vient de sources renouvelables. Pourtant, même les énergies renouvelables ont un impact environnemental, et il serait bon de s’interroger sur l’optimisation de ces dépenses énergétiques, ainsi que sur leur intérêt et leur nécessité pour nous-mêmes.
Par exemple, Google, dont la consommation en énergie vient principalement de ses 15 centres de données dans le monde, a consommé plus de 8 TWh sur l’année 2017. Pour comparer avec un objet à notre échelle, prenons l’exemple du réfrigérateur, qui consomme au moins 200 kWh sur une année (c’est-à-dire l’énergie équivalente de tirer une puissance électrique de 200 kW pendant une heure). L’énergie totale utilisée par Google correspond à 40 millions de réfrigérateurs fonctionnant en parallèle. Etant donné que Google compte environ 1 milliards de clients, la consommation par client n’est donc pas énorme (1 réfrigérateur pour 25 personnes). Mais il faut noter qu’il s’agit là d’un seul service, alors que nous en utilisons en général un grand nombre.
Afin d’estimer l’énergie totale dépensée par les centres de données, deux approches sont possibles. La première consiste à calculer la consommation en énergie de chaque élément au sein d’une unité (par exemple un serveur type), puis de multiplier par le nombre d’unités. Il s’agit d’une méthode dite « bottom-up » en anglais, qui a pour défaut de propager très rapidement les erreurs que l’on peut faire au sein d’une unité type. L’autre méthode consiste à estimer globalement (ici mondialement) la consommation en énergie des centres de données en consultant les factures énergétiques des plus grandes entreprises du secteur (qui publient en général des rapports à ce sujet). Il s’agit d’une méthode dite « top-down », qui permet d’obtenir plus simplement au moins un ordre de grandeur correct. On peut de même estimer les quantités globales de données stockées sur les serveurs.
Des scientifiques et professionnels de l’information ont publié (certains dans des revues scientifiques à comité de lecture, donc ces travaux possèdent une forte fiabilité), des études donnant des chiffres globaux quant aux consommations électriques des centres de données (ainsi que des réseaux de communications, voir plus bas). J’en ai consulté plusieurs, qui donnent pour la plupart des chiffres du même ordre de grandeur. Les travaux les plus récents que j’ai trouvés (Total Consumer Power Consumption Forecast, A. S. G. Andrae, Huawei, 2017) donnent comme projection pour l’année 2018 une consommation mondiale de 450 TWh par les centres de données. En ce qui concerne la quantité de données stockées, le rapport de l’entreprise Cisco (Global Cloud Index 2018) fait état de 11.6 Zo (Z = zetta représente 1021 ou mille milliards de milliards, o pour octet) pour 2018. Ainsi, je trouve le chiffre de 0.04 kWh/Go en moyenne sur l’année 2018, pour les données stockées dans les centres de données. Ainsi, si je stocke par exemple 10 Go sur mon compte Google et 2 Go sur Dropbox, je consomme 0.5 kWh/an, ce qui est faible. Mais il existe également une grande quantité de données qu’il est difficile d’estimer et que l’on génère par exemple en créant des comptes utilisateur sur de nombreux sites commerciaux, en partageant nos photos de vacances, etc… De plus, l’énergie nécessaire aux réseaux de communications pour transférer ces données est importante.
Les réseaux
Les réseaux de communications permettent de transmettre de l’information entre les centres de données et les utilisateurs. Ils sont composés de média de transmission, qui peuvent être des câbles coaxiaux (l’information est encodée sous forme électrique) ou des fibres optiques (l’information est encodée sur de la lumière guidée dans les fibres). Afin de transporter l’information sur de longues distances, il est nécessaire de régulièrement ré-amplifier les signaux dans des relais, et de les diriger par des routeurs. Les câbles ou fibres optiques sont en général des éléments passifs, c’est-à-dire qu’ils n’utilisent pas d’électricité. Cependant, il est nécessaire de fournir de l’énergie pour faire fonctionner les amplificateurs et routeurs, et des systèmes de refroidissement sont souvent utilisés.
Du côté utilisateur, la plupart des connexions étant sans fil (sur ordinateur portable, smartphone, ….), des émetteurs/récepteurs transforment l’information sous forme d’onde radio-fréquence qui se propagent aisément dans l’air. Ainsi, l’information peut être diffusée par des protocoles Wi-Fi ou de téléphonie mobile, comme la 4G. Ceci se fait grâce à des antennes de divers types. Elles peuvent être très grandes (plusieurs mètres) ou toute petite (dans votre routeur ou votre smartphone), et ont un besoin en électricité généralement proportionnel à leur tailles. Ces antennes amplifiées représenteraient 2/3 de la consommation des réseaux selon le rapport Cloud begins with coal de Mark P. Mills datant de 2013.
De même que pour les centres de données, la méthode consistant à estimer de manière globale l’énergie consommée au niveau mondial semble bien appropriée pour les réseaux de communication. La consommation énergétique des réseaux n’a pas été dénoncée vigoureusement comme celle des centres de données, elle est pourtant massive. Des chercheurs belges ont publié en 2012 leurs résultats dans une revue de physique assez connue (S. Lambert et al., Optics Express, 2012). Selon leur étude, en 2012, la consommation en énergie liée au transfert de données par Internet dans le monde était estimée à environ 350 TWh, soit 1.8% de la consommation électrique mondiale. Dans le détail, 250 TWh étaient utilisés pour les réseaux de communication à proprement parlé, 50 TWh pour les réseaux locaux (par exemple les réseaux intranet dans les entreprises), et 50 TWh pour les équipements clients (modem, wi-fi, etc). La croissance annuelle était de 10% par an entre 2007 et 2012, ce qui est énorme. D’après les derniers travaux d’Andrae, cette consommation a moins augmenté que prévu ces dernières années, pour arriver quand même à une projection de 320 TWh pour l’année 2017, en ne considérant pas les réseaux locaux et les équipements clients.
Selon le rapport de Cisco Networking Index 2017, le trafic de données pour l’année 2017 sur les réseaux de communications mondiaux correspond à 1.46 Zo. Ainsi, le coût énergétique moyen de transport de l’information est estimé à 0.16 kWh/Go pour 2017. Pour estimer sa consommation de données, on peut consulter les paramètres sur les données de son téléphone (Paramètres > Données, Wi-Fi et 4G), de son ordinateur (Centre réseaux et partage > Connections : …, donne les nombres d’octet reçu et émis depuis la dernière connexion), et de son routeur (en revanche plus difficile à trouver, il faut parfois installer des logiciels spécialisés). Ainsi, si je transfère en tout 10 Go de données par mois, je consomme environ 0.16*10*12 = 19 kWh/an. Vient enfin la consommation énergétiques de nos appareils électroniques.
Machines utilisateurs
On peut estimer la consommation énergétique de nos appareils électroniques grâce aux paramètres des batteries et chargeurs. Par exemple, la batterie de mon téléphone (Sony Z5) possède une capacité de 2900 mAh (données constructeur) et se charge sous 3.5 V (écrit sur le chargeur). On peut donc calculer l’énergie contenue dans la batterie : 2.9*3.5 = 10 Wh. En considérant que je vide la batterie chaque jour, cela fait une consommation de 3.7 kWh/an, ce qui n’est pas énorme comparé aux 200 kWh/an minimum d’un réfrigérateur. Les ordinateurs portables consomment sensiblement plus. En effet, le constructeur donne la puissance de la batterie de 35 W. En considérant 8 h d’utilisation journalière, cela revient à environ 100 kWh/an. Quant aux ordinateurs fixes, ils consomment environ le double : entre 120 à 250 kWh/an selon l’ADEME (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) qui a publié en décembre 2017 un petit guide pratique, La face cachée du numérique.
Les abonnements internet, avec des box ADSL ou fibre, ou bien un abonnement mobile, consomment également de l’énergie en quantité. Une étude a été réalisée par le site GreenIT en partant des chiffres donnés par la communauté UniversFreebox sur la consommation globale des réseaux de Free. Ils estiment que la consommation en électricité est de 25 kWh/an pour un abonné mobile et 235 kWh/an pour un abonné ADSL ou fibre chez Free. Ces chiffres élevés proviennent du fait que les box internet restent en général allumées en permanence.
Consommation totale et comment la réduire ?
On peut donc avoir une idée de sa consommation énergétique totale liée à Internet. L’estimation de ma consommation est la suivante :
- données stockées : 10 Go * 0.04 kWh/Go = 0.4 kWh/an,
- données échangées : 10 Go/mois * 12 mois * 0.16 kWh/Go = 19 kWh/an,
- équipements personnels : 3.7 kWh/an (smartphone) + 100 kWh/an (ordinateur portable) + 25 kWh/an (abonnement mobile) + 235/2 kWh/an (box internet).
Ceci donne un total de 265.6 kWh/an. C’est l’équivalent de la consommation électrique d’un réfrigérateur, ce qui est énorme. Pourtant, je regarde peu de vidéo, de films, et je n’allume que très rarement la télévision (via Internet). Et on voit bien que la plus grande partie de cette consommation provient des appareils personnels (car les autres coûts énergétiques sont mutualisés).
De plus, je n’ai pas considéré ici le coût énergétique et environnemental de la fabrication des appareils utilisés à tous les niveaux. En effet, la fabrication de ces appareils fait très souvent appel à des matériaux rares, des procédés chimiques et beaucoup d’eau et d’énergie. Ces coûts seraient donc à ajouter à ceux estimés ici.
Et comment réduire sa consommation énergétique liée à Internet ? On peut lister, parmi les gestes simples, les actions suivantes :
- emails : Faire le tri dans ses emails, et ne garder que l’essentiel. En particulier pour les pièces jointes volumineuses, il vaut mieux sauvegarder sur son ordinateur les fichiers et effacer les emails.
- cloud : Ne pas synchroniser inutilement ses données, malgré les incitations à utiliser les différents services (Drive, Dropbox, etc…). Privilégier le transfert de données par clés USB que par Internet.
- Wi-Fi vs 4G : Privilégier le Wi-Fi et éviter d’utiliser les données mobiles sur votre smartphone car les antennes 3G et 4G consomment plus. Et éteindre sa box lorsqu’on ne l’utilise pas (on peut la programmer).
- moteur de recherche : Taper directement l’adresse web d’un site plutôt que de faire une recherche. Les moteurs de recherche qui se réclament être « écolo » (Ecosia ou Ecogine) utilisent la publicité pour financer des projets écologiques, mais aucune économie d’énergie n’est faite par rapport à Google.
- streaming : Regarder une vidéo en streaming est évidemment très coûteux en énergie. Privilégiez la lecture, les fichiers audio si c’est juste pour de la musique, et l’échange de films !
D’autres explications et conseils se retrouvent sur le site de l’Ademe, sur GreenIT qui conseille en particulier d’éviter la télévision via Internet, et sur un grand nombre de blogs, comme par exemple celui du Déconsommateur.