Le blanchiment des coraux dû à des pollutions locales

Suite à des données accumulées sur 30 ans en Floride, des chercheurs viennent de publier un article montrant des corrélations temporelles et géographiques des concentrations en azote avec le blanchiment des coraux (Lapointe et al., Marine Biology, 166:108, 2019). Le parcours des composés azotés a pu être reconstitué, et leur origine identifiée. Ceci ouvre la porte à un potentiel futur contrôle des quantités émises, et donc une meilleure préservation des coraux dans la région.

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Corail mort échoué sur la plage, Nouvelle Calédonie, 2017, par Lucile Veissier.

Le blanchiment des coraux correspond à leur dépérissement lorsque les algues vivant en symbiose avec les coraux sont expulsées (voir la vidéo de Biointeractive ci-dessous, en anglais). Cette perte de pigmentation ne signifie pas qu’ils sont morts (les coraux sont des animaux de la même branche que les méduses, avec un squelette calcaire), mais qu’ils deviennent beaucoup plus vulnérables. Ce blanchissement est souvent attribué à une hausse de la température et à l’acidification des eaux en surface, mais l’enrichissement en polluants azotés reste pourtant le facteur principal, selon Brian Lapointe et ses collaborateurs.

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Cette cause est en effet identifiée dès les années 1980. Les composés azotés comme les nitrites (N0x) ou l’ammoniac (NH3) proviennent majoritairement de l’agriculture intensive et des eaux usées mal traitées. Les polluants sont en effet drainés par de fortes pluies des terres jusqu’en mer, et deviennent des nutriments pour certains organismes aquatiques. Lorsqu’ils s’accumulent, on voit apparaître un phénomène appelé eutrophisation, correspondant à une croissance excessive de certaines algues. Celles-ci absorbent de grandes quantités d’oxygène, causant une asphyxie de l’écosystème.

Pour les coraux, cette pollution en composés azotés entraîne en plus une carence en phosphore (P), qui les rend beaucoup plus vulnérables. Le rôle du phosphore dans la résistance des coraux à une hausse des températures a été mis en évidence en 2016 par des chercheurs de Monaco (Ezzat et al., Scientific Report 6, 31768, 2016). L’augmentation du ratio N/P (azote/phosphore) dans les récifs coralliens rend donc encore plus catastrophiques les conséquences du changement climatique.

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Carte de l’extrême sud de la Floride, avec la zone protégée de Looe Key au sein de l’archipel des Keys, et la zone humide des Everglades sur le continent. Google Maps, 2019.

Les chercheurs du Harbor Branch Oceanographic Institute dépendant de la Florida Atlantic University (FAU) étudient les coraux dans l’archipel des îles Keys, au sud de la Floride. En particulier, le récif de Looe Key est une zone protégée, idéale pour mener leurs investigations. Entre 1984 et 2014, l’équipe de Brian Lapointe a surveillé la population corallienne en prenant régulièrement des images, et a procédé à des prélèvements d’échantillons d’eau de mer et de micro algues à plusieurs endroits entre les îles Keys et la Floride continentale. Pour identifier la source d’émissions des polluants, l’équipe de Brian Lapointe a cherché les coïncidences entre plusieurs ensembles de données :

  • la couverture corallienne (la quantité de coraux vivants)
  • la température de l’eau
  • la concentration relative en composés azotés des micro-algues
  • le « déchargement » de composés azotés provenant de la zone des Everglades au sud de la Floride continentale (voir carte), du à de fortes pluies.

Ils ont de plus suivi la salinité de l’eau, ainsi que les différences de concentration en composés azotés dans l’eau entre les Everglades et l’archipel des Keys.

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L’équipe du Harbor Branch Oceanographic Institute en pleine mesure, par Brian Lapointe. Toute la galerie d’image à consulter ici.

Sur la période étudiée, la couverture corallienne est passée de 33% en 1984 à 8% en 2008. Le taux de mortalité des coraux varie dans le temps, et les biologistes montrent l’existence de pics durant les années où de très fortes pluies ont été enregistrées en Floride continentale. Cette corrélation montre bien le rôle des eaux terrestres polluées apportées en mer à travers les Everglades, qui est une zone subtropicale humide.

Malgré ses données alarmantes, cette étude apporte l’espoir de préserver les coraux dans les Keys. En effet, contrairement aux causes globales à l’échelle de la planète comme le réchauffement ou l’acidification des eaux, les polluants azotés sont une cause locale du blanchissement des coraux qui peut être géographiquement et temporellement identifiée. Par conséquent, la modernisation du traitement des eaux usées, ainsi que le stockage et le traitement des eaux de pluie drainant les terres agricoles devraient permettre de limiter, dans les milieux aquatiques sensibles, la présence de composés azotés néfastes pour les coraux.

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Plan de restauration des Everglades, avec le creusement d’un canal. National Park Service.

Un plan de restauration des Everglades est en cours, et Brian Lapointe et ses collaborateurs espèrent que ces éléments seront pris en compte, selon phys.org. Toujours d’après eux, l’exemple de l’île de Bonaire aux Pays-Bas caribéens montre que des améliorations sont possibles : depuis la construction d’une usine de traitement des eaux usées en 2011, la population du récif corallien est en hausse. Vous pouvez consulter le rapport de la Dutch Carribeen Nature Alliance sur le sujet, ou bien admirer les magnifiques images de coraux dans ce récent reportage du New York Times.

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